Je voudrais aujourd’hui jour de la fête nationale rendre
hommage à tous ceux qui ont permis à notre village de consolider ses vieilles maisons et de les voir habitées de façons intermittentes
mais quand même ouvertes et tenues en parfait état. Et parmi ceux
qui ont investi dans les ruines que nous avions dans la fin des années 50 il y a
de nombreux suisses. J’ai même fait le calcul des résidents secondaires
propriétaires aujourd’hui : 15 Familles suisses, 2 Familles belges et 1 famille
allemande et 1 Danoise.
C’est vrai qu’à une époque, comme le soulignait d’ailleurs Paul-Jean Roux, Diplômé de l’Ecole Supérieure de
Commerce de Montpellier et domicilié à Rivières, Gard , en conclusion de son
remarquable dossier de demande de classement Côtes du Rhône pour le terroir Aiguézois
notre village était trop pauvre pour remettre en état les ruines nombreuses qui
se dégradaient.
Nous avons parcouru ces mois derniers, ce village en agonie et nous sommes atterrés de ce spectacle. Deux longues files de maisons, rangées et serrées de chaque côté d’une rue. Les arceaux de calcaire des portes charretières ont résisté a l’usure du temps, mais la porte rongée a cédé sur ses gonds rouillés et la cour ouverte … La maison, si elle n’est pas déjà sans tuiles, est souvent fermée. Peut-être les propriétaires qui habitent Bagnols ou Avignon, viendront en été y séjourner à peu de frais et animer ce silence de sépulcre.
C’est presque un événement d’entendre quelqu’un marcher dans ces rues sans vie. Dans l’entrebâillement d’une porte, une vieille femme en noir regarde étonnée, « celui » qui passe.
Plus loin, les maisons s’écroulent, ajoutant leurs ruines à celles du superbe
« Castellas », juché sur sa falaise, dont la tour de guet surveille sans fin, les ponts d’Ardèche et les coteaux du Rhône. Le cantonnier communal recueillera à temps perdu, ces épaves d’un passé défunt, portes et poutres pour les brûler ; il entassera de côté les pierres. L’urbanisme gagnera une « placette » où un acacia n’arrivera pas à pousser.
Que reste-t-il des six ou sept artisans de la « Belle Epoque » 1900 quand Aiguèze avait 400 habitants ? Où sont les fialairos (fileuses) et les tirairos (tireuses) animant les filatures du pont d’Aiguèze, il y a 100 ans, quand 515 personnes vivaient ici ? Que sont devenues les officines des notables du Grand Siècle : viguier baile, consuls, chirurgien, médecin, notaires, écrivains publics, etc … quand 240 « communiants » se pressaient sous le Castellas ?
LA DETRESSE DE
LA TERRE
Jusqu’au milieu du XIXème
siècle, quand le but de toute exploitation agricole était de suffire à
soi-même, sans acheter ni vendre, Aiguèze vivait de l’agriculture. Toute la
nourriture en venait : céréales, légumes, fruits, épices, boissons,
viandes, lait, fromages, miel, etc… Tout le vêtement aussi : chanvre,
soie, laine, pelleteries. Dans le logement, la forêt fournissait les charpentes
et les meubles, comme elle assurait le chauffage des maisons. L’alcali des
cendres de bois, les peintures à base d’huile végétale, beaucoup de colorants
et de plantes médicinales étaient à la base des ingrédients et des remèdes
domestiques.
Après la révolution technique
constituée par la découverte de la puissance motrice du feu et de
l’exploitation de la machine à vapeur, puis du moteur à explosion, commence la
dépopulation de la région d’Aiguèze. La crise séricicole, coïncidant avec
l’aurore du machinisme, accélère l’essaimage vers les villes concentrant des
industries autour des sources d’énergie non agricoles : houille, pétrole,
minerais radio-actifs. Cette désertion du terroir s ‘amplifie entre les
deux guerres. Elle dure toujours.
Aujourd’hui, il reste très peu de fermes habitées dans le village. Les petits fonctionnaires sont le milieu vivant ; ainsi que les demi-ruraux, dont le minimum vital est assuré, soit par une journée gagnée ailleurs ou par une pension, retraite, allocation.
Le petit reste est constitué
par quelques propriétés florissantes, modernisées, grâce à un capital et au
travail de viticulteurs avisés et persévérants. D’autres enfin
« vivotent » et dureront
autant que durera le courage du chef de famille : ses grands garçons,
après le régiment entreront dans la police, l’armée ou s’embaucheront dans les
entreprises d’Avignon ou de Marcoule, et ses grandes filles épouseront un
citadin plutôt qu’un rural.
LE VIDE DANS LE
DESERT
Aiguèze se vide. Chaque porte qui se
ferme est un pas de plus vers la disparition. Le sol de la commune est pauvre.
Il a fallu des miracles d’opiniâtreté et d’ingéniosité, d’ardeur au travail
pour maintenir pendant des siècles, dans son territoire, une population qui
diminue de jour en jour.
Dans ce désert de la forêt de
Ronze, l’espace cultivable a été toujours mesuré. Depuis les premiers
défrichements des fondateurs de l’agriculture, il y a quatre mille ans, la
proportion de la superficie des terres labourables n’a jamais dépassé 18 pour
cent. Les parcelles sont nombreuses. Les grands domaines n’existent pas La
petite propriété de moins de 10 hectares est courante.
Comment retenir à la terre,
cette catégorie de petits exploitants numériquement la plus nombreuse ? Ce
n’est pas seulement l’éloignement d’un terrain de sport ou d’une salle obscure
qui décourage les jeunes d’Aiguèze, mais le souci de faire vivre honorablement
leur famille. Ils quittent la campagne pour la ville, où sans spécialité, ils
gagnent un salaire modeste mais assuré. Perdant par ce départ leur
individualité et leurs traditions dans l’anonymat dépersonnalisé des masses
citadines. Que les Hautes Autorités Compétentes leur donnent la possibilité
d’avoir l’équivalence à la terre et ils ne partiront pas. »
Il pose une
question fondamentale : L’ESPOIR RENAITRA-T-IL ?
Il répond qu’il renaîtra si la
viticulture arrive enfin à nourrir la population en obtenant le lebel Côtes du
Rhône. C’est ce qui est arrivé et encore aujourd’hui on peut être reconnaissant
à Paul Jean ROUX et les quelques viticulteurs qui lui avaient commandé ce
travail d’avoir réussi à obtenir l’appellation qui a donné un coup de fouet à
la viticulture et à l’économie du village.
REMISE DE LA
MEDAILLE D’HONNEUR DU VILLAGE à Louis GONSETH :
Les habitants
n’étant alors pas assez fortunés pour réparer et entretenir les habitations qui
tombaient en ruine, il a fallu que des étrangers au village fassent ce travail
de sauvetage des maisons.
C’est pour leur
rendre hommage que j’ai choisi de remettre la médaille du village à Louis
GONSETH. Je connais son attachement sincère pour notre village, je le remercie
d’avoir produit gratuitement plusieurs études sur son aménagement en sa qualité
d’architecte (je pense notamment à un projet d’aménagement de l’espace La
Font/Lavoir), je le remercie de passer pas mal de son temps à accompagner les
touristes à travers nos ruelles en leur expliquant les traces de notre passé
médiéval, je le remercie de s’impliquer dans la vie du village : par
exemple sa présence parmi les bénévoles de la Médiévale et dans toutes les
animations, je le remercie de son rôle de surveillance du village : il a
l’œil sur tout ce qui est suspect ou qui peut porter atteinte à la sécurité, de
plus c’est un artiste qui a réalisé de magnifiques aquarelles de nos paysages
dont il fait la promotion en Suisse.
Pour tout cela
je lui remets cette médaille d’honneur de notre commune et lui souhaite de
continuer longtemps encore à marquer de sa présence la vie de notre petite
cité.
Et pour terminer ce petit
poème cité par Paul Jean ROUX d’un auteur anonyme :
VISITE A AIGUEZE
Qui croirait que tu fus un joyau de
Provence
En te voyant ainsi dormant sous le
soleil ?…Nul ne te protégea ( comme on le fit à Vence )
Du cruel abandon, cet oubli sans pareil !…
La lèpre de tes murs, les cahots de
tes rues,
Les ruines effondrées en de tristes
amas,Les toitures béantes, les cours toutes nues,
Font penser à l’adieu… ou au prochain trépas !
Le poids cruel des ans accable ton
épaule,
Tes quelques monuments, fantômes de
jadis,Te donnent tout au plus un air de nécropole !…
Et pourtant, je le sais, ton cœur bat et tu vis.
Un Site merveilleux entoure tes murailles,
Estompe ta misère… exprime une beauté
Et ton fameux donjon, jailli de tes entrailles,
Prend le ciel à témoin de glorieux Passé…
L’Ardèche qui s’écoule à tes pieds
de colosse,
N’a pour toi que des chants et des
hymnes d’amour,Tandis que le Ventoux prête au Rhône sa bosse
Pour mieux voir ton rocher, la château et sa tour !…
Les senteurs de garrigue emplissent
mes narines,
M’enivrent : je crois voir tout
au long des sentiersDe grands troupeaux bêlants dans le chant des clarines,
Monter de cime en cime aux refuges altiers.
A pas lents, recueilli, je gravis le
calvaire
De tes hauteurs sauvages afin de
contemplerCes gorges d’épouvante par où, dit-on, naguère
Tes premiers conquérants vinrent te visiter.
O site merveilleux !… Décor
indescriptible !…
O palette magique de profuses
couleurs…C’est un enchantement où mon âme impassible
Soudain pourtant s’émeut jusqu’à verser des pleurs.
Combien à ce moment me paraissent
futiles
Nos querelles d’un jour et nos
mesquins soucis ;D’humbles remerciements seraient bien plus utiles
S’adressant à Celui qui fit ce que je vis !…
A regret je descends ces pentes
enjôleuses
Me rapprochant ainsi de ton ancien
rempartEt foulant des terres tout aussi capiteuses
Où les vergers en fleurs, jaillis de toute part,
Sont bourdonnants d’abeilles et de
chants de cigales.
Enfin, tout près, sur les coteaux
ensoleillés,Je découvre ta vigne aux vertus sans égales,
Sources vénérables de tes crus réputés !…
Car tu as une histoire, un blason de
noblesse
Que connut maint Anglais, noble Dame
ou Seigneur…Tu fus, dans leurs agapes, un ferment de liesse ;
Chacun buvant ton vin, redevenait meilleur.
Et même il me fut dit que le bon La
Fontaine
Apprécia si fort les dons de ton
nectarQu’il en imagina mainte belle fredaine
Décrite dans tel conte à l’esprit égrillard.
Dans le site enchanteur de ces « Côtes du
Rhône »
Malgré ta modestie et ton air effacéTu es un beau fleuron de l’antique couronne
Dont se pare le front de ce Terroir aimé.
J’espère te revoir, Aiguèze
somnolente,
A ton réveil… quand tes enfants
devenus fiers,T’arracheront enfin à l’ignoble mort lente
Que tu ne méritas ni aujourd’hui, ni hier.
Un touriste reconnaissant
Avril 1957
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