Vous trouverez ci-joint de la part de Nicolas Clément un
article publié sur les monnaies découvertes lors de la campagne de fouilles de
2012. N’hésitez pas à faire suivre, notamment aux personnes présentes lors de
la visite du 11 avril dernier.
Cordialement Françoise GONNET TABARDEL
Directrice du Syndicat de Gestion des Gorges de l'Ardèche
CLEMENT (nicolas), BoMpaire (Marc)
un bourgeois fort
frappé sur un double parisis : illustration de la crise monétaire du début du
xive siècle en france sous philippe iv le Bel. Au coeur des gorges de l’ardèche
se dressent fièrement les ruines dites de la « Maladrerie des Templiers » sur
la commune d’aiguèze (30). Le cadre environnemental exceptionnel sert d’écrin à
un ensemble d’édifices tout droit sortis du Moyen Âge. aussi, autour d’un
imaginaire populaire, le mythe de la présence des Templiers venus se réfugier
après les arrestations orchestrées par le roi de France philippe le Bel en 1307
suivies de la dissolution de l’ordre par le pape clément V en 1312, prendra
corps au cours du XiXe siècle. Dès lors, la littérature régionale n’a cessé de
colporter ce récit folklorique.
Une première campagne de fouille archéologique a été menée
en avril 2012. Les résultats ont démontré la présence d’édifices antérieurs à
l’église médiévale et à l’ensemble du complexe monastique. parmi les 14
monnaies médiévales découvertes, figure une monnaie royale surfrappée,
conservée à moitié (0,80 g). Son identification illustre les modifications
apportées par le roi philippe IV le Bel au système monétaire mis en place par
Louis IX vers le milieu du XIIIe siècle. Devant réagir face à la crise du début
du XIVe siècle tout en essayant d’augmenter ses ressources propres pour
financer des expéditions militaires, philippe iV le Bel s’est vu obligé d’adapter
la valeur des monnaies afin de limiter la hausse du cours de l’argent. il força
leur cours avec la mise en place d’une nouvelle monnaie en 1295 : le double
dont le contenu d’argent correspondait à celui de 1,5 denier alors qu’il avait
cours pour 2 deniers. C’est le début de
la dévaluation de la monnaie royale. en 1303, le contenu de métal précieux des
doubles tournois et parisis est encore réduit. en 1307, de bons deniers parisis
et tournois sont de nouveaux frappés. Cette tentative d’un retour à la « bonne
monnaie » se traduit par un rapide échec. En 1311 sont émises de nouvelles
monnaies dont le « bourgeois fort » qui contient autant d’argent que 2 bons
deniers tournois mais circule pour 2 deniers parisis. puisque 5 deniers tournois
équivalent à 4 deniers parisis, ces monnaies sont donc affaiblies de 20 % par
rapport à la bonne monnaie. L’émission des bourgeois s’interrompt au bout de 2
ans et de nouveaux affaiblissements interviennent à partir de 1322 jusqu’à la
dernière émission de « bonnes monnaies » restaurées par philippe VI en 1330. Un
examen attentif de la demi-monnaie ici présentée a permis de déceler
l’enchevêtrement de deux légendes
caractéristique d’une surfrappe (fig. 1). La première frappe a été réalisée
pour un double parisis de philippe iV le Bel. elle est issue de l’émission
affaiblie de 1303 qui se caractérise par un globule sous le i de reGaLis (1).
Les vestiges d’une seconde frappe permettent d’attribuer la surfrappe à une
émission de 1311 et d’y reconnaître un bourgeois fort. ainsi, sur la croix
feuillue du droit du double pari
sur l’affaiblissement
progressif des doubles au vu de quelques analyses, voir M. BoMpaire,
« numismatique et économie monétaire de l’occident médiéval
et moderne », Annuaire de l’École pratique des hautes études (EPHE), Section
des sciences historiques et
philologiques, tome 140, 2009, [en ligne], UrL :
http://ashp.revues.org/index708.html.).
Fig. 1 : enchevêtrement des légendes d’une monnaie
surfrappée au début du XiVe siècle. on distingue les fragments de la couronne
surmontant la légende centrale ForTis
en deux lignes, dont il ne subsiste ici que les lettres F,
o, T, appartenant au droit d’un bourgeois fort ou double. La surfrappe sur le
revers est encore moins bien venue avec un
fragment de la croix latine fleuronnée dite croix « bourgeoise » et le X de
phiLippVs reX. Cette monnaie montre la supercherie des agents royaux chargés de
frapper de nouvelles monnaies en 1310. ils n’hésitent pas à réutiliser comme
flan un double parisis de titre réduit
(2 deniers 1/3 de loi soit 18,6 % d’argent en 1303) dont la valeur avait bien
vite été ramenée à 2/3 de denier parisis (2), pour le frapper toujours à la
valeur de 2 deniers parisis, comme bourgeois fort, une monnaie qui devrait
contenir autant d’argent que deux bons deniers tournois avec un titre de 6
deniers (47,9 %). or, dans ce cas, le double parisis a simplement reçu, sans
même une refonte partielle, l’empreinte d’une nouvelle émission. ainsi, la
nouvelle monnaie, censée être plus forte, gardait une valeur moindre, avec un
titre presque trois fois trop faible et un poids légèrement inférieur. Dans le
contexte de crise du système monétaire au début du XiVe siècle, cette
supercherie émane-t-elle directement du roi ? plus probablement s’agit-il d’une
initiative frauduleuse de la part des monnayeurs royaux à l’image des
irrégularités observées au même moment à l’atelier de paris qui donnèrent lieu
à une enquête menée par Guillaume de nogaret. Mais les fraudes portaient
surtout sur la fonte et le titre du billon (3). Le fait que la pièce soit
incomplète peut laisser supposer une intervention destinée à retirer cette
pièce de la circulation en la coupant, comme obligation en était faite aux changeurs
notamment. certes la coupure n’est pas due à un coup de cisaille bien net et
elle laisse entre nos mains un peu plus d’une demi-pièce. Le cas n’est pourtant
pas improbable, car la pièce devait attirer l’attention dans la mesure où le
type qui apparaît le plus lisiblement reste celui du double parisis de 1303.
celui-ci ne devait plus circuler que pour son contenu de métal. ainsi parmi les
monnaies comptabilisées par l’évêque de clermont en 1315-1318 (4), les doubles
parisis « cornutz » sont évalués 3 pour 2 d. (tournois), mais on observe
surtout qu’ils circulaient encore en grand nombre (en association avec les
monnaies des barons), bien davantage que les bourgeois,sans doute assimilés aux
tournois de même contenu métallique et de même valeur. Finalement, il faut
vraisemblablement supposer un certain degré de maladresse de la part du
monnayeur royal (5) puisque la surfrappe n’oblitère pas ici le type
sous-jacent. De plus, il y a eu aussi une interversion dans les coins. ainsi,
le droit du double parisis n’a pas reçu la frappe du coin droit du bourgeois
fort mais celui du revers. Cette inversion se retrouve sur l’autre face, où le
revers du double parisis est oblitéré par le droit du bourgeois fort. ces «
maladresses » résonnent comme un écho aux actions nocturnes des « maîtres de la
monnaie » de paris, tant décriées dans l’enquête de Guillaume de nogaret. en
effet, ils se pressaient la nuit –hors de la présence des fondeurs– pour fondre
des monnaies de basses valeurs afin d’émettre des doubles, normalement de forte
valeur mais en réalité de bien bas titre !
2. ordonnances de 1307, juin 1313. pour les comptes de
clermont voir n. 4.
3. a. De BarTheLeMY, « De la fabrication de la fausse
monnaie au Moyen Âge : enquête faite sur la fabrication de faux bourgeois dans
l’atelier de paris (1308-1312) », Mélanges de numismatique,
i, 1874, p. 124-134. 4. e. GréLois, M. BoMpaire, « Documents
sur la monnaie de clermont », RN, 2002, p. 279- 344.
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