samedi 19 septembre 2009

COMPTE RENDU DE LA VISITE D'AIGUEZE PAR LA SOCIETE DE SAUVEGARDE DES MONUMENTS ANCIENS DE L'ARDECHE (12 juin 2008)

Retrouvé sur Internet ce compte-rendu d'une visite d'AIGUEZE
traduit bien les commentaires éclairés de Robert FRUTON ardent promoteur du village. Je vous le livre à l'occasion de la journée du Patrimoine :

Le Village d’Aiguèze
La Société de sauvegarde des monuments anciens de l’Ardèche est allée, le 12 juin, visiter Aiguèze. Eh oui, un village du Gard ! Précisons toutefois que le clocher de ce village n’est qu’à sept cents mètres de celui de son vis-à-vis ardéchois, Saint-Martin-d’Ardèche. Ajoutons que ces deux villages, administrativement séparés par une frontière à la fois départementale, entre Ardèche et Gard, et régionale, entre Rhône-Alpes et Languedoc-Roussillon, étaient réunis en une seule communauté jusqu’en 1790. Il était donc bien tentant d’aller rendre visite à ces frères séparés, d’autant plus que leur village, dont l’élégante silhouette couronne la falaise dominant le cours de l’Ardèche, vient d’être classé parmi les « plus beaux villages de France ».
Aiguèze
La quarantaine d’audacieux venus au rendez-vous malgré une série de jours très maussades mesurent ce matin leur chance ; le ciel a brusquement viré au bleu franc et notre guide, Robert Fruton, nous captive d’emblée par ses commentaires érudits, relevés d’une bonne pincée d’humour et de sa passion pour Aiguèze. En avant donc, à travers placettes et venelles, à la découverte des empreintes laissées par une longue histoire ! Depuis bien des siècles, en effet, les avantages du site avaient attiré l’occupation humaine : un gué sur l’Ardèche au pied d’une haute falaise facile à fortifier et bien pourvue en eau jusqu’au sommet. Aiguèze, dont le nom signifie « eau dans le rocher », compte en effet de nombreux puits. C’est pourquoi Charles Martel, après la bataille de Poitiers (732), avait établi là un des forts dont le réseau contrôlait le Rhône et l’Ardèche. Trois siècles plus tard, Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse, y construisit les premières tours en pierre de la forteresse, dont la « tour sarrasine » parvenue jusqu’à nous. C’est au pied de celle-ci que nous effectuons notre première halte, dans la partie la plus ancienne du village, pour y observer un trait caractéristique d’Aiguèze : le rez-de-chaussée des maisons, généralement médiéval, est surmonté d’un premier étage Renaissance. Cette discordance est la cicatrice d’événements tragiques survenus à la fin du XIVe siècle : en 1382, en pleine guerre de Cent Ans, les « Tuchins », l’une des nombreuses jacqueries de l’époque, s’étaient emparés du château et l’avaient utilisé pendant quatorze mois comme base pour leurs rapines. La répression royale fut terrible, les « Tuchins » furent passés au fil de l’épée et les maisons rasées jusqu’au premier étage. La population, réduite à neuf feux, ne se rétablit ensuite que très lentement. Un passage en tunnel creusé dans la roche nous fait déboucher sur le chemin de ronde d’où s’offre un vaste panorama depuis la sortie des gorges de l’Ardèche jusqu’à la vallée du Rhône et au Ventoux, en passant par le village de Saint-Martin au pied de son coteau. Au-dessous de nous, au bord de la rivière, les ruines du hameau de Borian, abandonné en 1910, rappellent une communauté de pêcheurs qui devenaient aussi passeurs quand les crues rendaient le gué impraticable. L’emplacement de ce gué est signalé par deux langues de rocher s’avançant depuis chaque rive à la rencontre l’une de l’autre. Les femmes venaient autrefois y faire la lessive, profitant, à cette occasion, des bienfaits de l’eau de l’Ardèche pour la circulation et, disait-on, pour certaines maladies de peau.
Au-dessus de nos têtes, perchées sur une puissante lame de calcaire urgonien, trois tours se découpent sur le ciel, vestiges imposants de l’ancienne forteresse : la tour sarrasine du XIe siècle, déjà citée, une tour ronde du XIIIe siècle, où flotte un drapeau tibétain, et, relié à elle par une forte muraille, le haut donjon carré du XIIe siècle, bel exemple d’architecture militaire provençale. Ce dernier porte la bannière d’Aiguèze unissant les bandes sang et or du Roussillon à la croix du Languedoc. Cette forteresse perchée, alimentée en eau par un puits, était reliée au chemin de ronde par un escalier dont subsistent, en haut, quelques marches taillées dans le rocher et, en bas, les traces d’ancrage de marches en bois.
À ce point de notre parcours, le maire d’Aiguèze vient nous souhaiter la bienvenue.
Devant nous, à l’extrémité occidentale du village, nous apercevons, perché sur le roc, un petit édifice à l’aspect de chapelle. Telle était bien sa destination lorsqu’il fut construit, en 1912, par Mgr Fuzet, dont nous reparlerons. Mais la guerre et la mort du prélat firent avorter ce projet et le bâtiment, bientôt vendu, fut immédiatement aménagé en habitation. Nous voici maintenant devant l’hôpital du XVe siècle, aujourd’hui résidence privée. C’est une bâtisse haute et massive, en moellons calcaires bien appareillés. La porte d’entrée est étroite et défendue par une meurtrière, car l’époque était troublée. La guerre de Cent Ans se terminait à peine et des bandes de « routiers » terrorisaient le pays ; on venait de renforcer les remparts d’Aiguèze. Une fenêtre à meneaux est en partie murée, assez grossièrement. Même souci de sécurité ? Non, le crime est postérieur et son mobile plus trivial : le passage d’une cheminée. Dans un coin de la cour on aperçoit la tour d’un escalier à vis. Rue du moulin, nous espérions voir un moulin à huile du XVIe ou XVIIe siècle, dans le local de l’office de tourisme, avec un puits encore en eau. Mais la porte est close en ce beau jour de juin. Quelques dizaines de pas plus loin, à la jonction avec la Grand rue, une maison pittoresque attire le regard avec sa façade Renaissance ornée de diverses sculptures : Charlemagne, une femme, une chouette, un chat … C’est « la maison du sculpteur », la bien nommée. L’artiste qui l’habite, encore fort alerte à 94 ans, porte un nom peu banal, Robert de Wittelsbach de Traxel. Il serait un descendant de Louis ll de Wittelsbach, plus connu chez nous sous le nom de Louis ll de Bavière.
La Grand rue, que nous allons suivre un moment, est pavée de galets de l’Ardèche, de part et d’autre d’une bande médiane bétonnée qui était jadis en terre battue pour le confort des chevaux, tandis que les roues des charrettes cahotaient sur les pavés. À l’endroit où la rue s’élargit pour devenir la Placette, une maison porte une plaque à la mémoire d’Honoré Agrefoul, « inventeur du pastis ». Ne cherchez pas ce nom dans le dictionnaire ; c’est une galéjade ! De l’autre côté de la Placette, une croix métallique du début du XVIIIe siècle présente, à côté des instruments de la Passion, deux avant-bras humains, l’un nu, l’autre habillé d’une manche ; elle nous dit ainsi que, riches ou pauvres, une même fin nous attend. La boucle est bouclée ; de retour sur la place du Jeu de paume, nous y sommes accueillis par la statue en bronze de saint Roch, patron du village. Quelques platanes plus loin, en bordure du petit boulodrome, un buste de Mgr Fuzet est adossé au mur de la mairie. Ce prélat, archevêque de Rouen au moment de la séparation des Églises et de l’État, fit beaucoup pour Aiguèze, patrie de sa mère, et reste assurément très cher au cœur de Robert Fruton. La visite de l’église va être l’occasion de mieux connaître cette grande figure locale.
En entrant dans l’église, entièrement peinte de couleurs vives (« les peintures de la nef sont inspirées de Notre-Dame de Paris », nous dit notre guide), le visiteur n’a pas d’emblée l’impression de pénétrer dans un édifice construit pour l’essentiel entre le XIIe siècle (le chœur) et le XVIe siècle (la nef). Mgr Fuzet en a beaucoup modifié l’aspect. Outre les peintures déjà citées, où se répète le motif de la croix à double branche horizontale (croix de l’archevêque primat), il a fait exécuter les vitraux, où se retrouvent les visages de sa famille (sa mère prêtant ses traits à la Vierge, son père à saint Roch, lui-même à saint Frédéric, son frère, sa sœur) et a doté le clocher d’une flèche élancée. Ces travaux ayant été exécutés en 1910, un an après la béatification de Jeanne d’Arc, ce fut l’occasion d’ajouter dans la nef un relief représentant la bienheureuse et, dans le chœur, les statues de ses voix, saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite. Le grand portail et les chapelles latérales avaient été réalisés au XIXe siècle. Par le portail latéral, daté de 1552 et classé, nous sortons sur la place de l’église, également due à Mgr Fuzet ; ce qui donne à notre guide l’occasion d’évoquer deux autres actions de ce prélat républicain, que ses idées avaient rendu proche du pape Léon Xlll et quelque peu suspect à son successeur, Pie X. La première est illustrée par le petit bâtiment bordant la place, que Mgr Fuzet, propriétaire des lieux, avait séparé du château et décoré aux armes d’Aiguèze, avant de l’offrir à la mairie pour en faire une école ; la mairie refusa le cadeau. La seconde est à l’origine du « denier du culte », appelé aujourd’hui « denier de l’Église » ; le prélat avait pris l’initiative de lancer dans son diocèse une collecte pour subvenir aux besoins du clergé, privé de revenus par les lois de séparation de 1905. Idée bientôt reprise à l’échelle de la France.
Après cette belle et très riche matinée, nous prenons le chemin de l’ancienne école, aimablement mise à notre disposition par le maire, pour partager nos paniers-repas, à l’ombre fraîche des platanes de la République. Après quoi, sous un ciel immaculé, que ne blasphème aucun nuage, nous passons à la partie ardéchoise du programme, en traversant le pont suspendu construit en 1905 et inauguré en 2005 ! Prudence compréhensible ; le pont précédent, en pierre, n’avait résisté que cinq ans à l’impétuosité de la rivière.

texte de M. Pierre COURT

1 commentaire:

Roseline a dit…

La maison avec façade renaissance que vous décrivez n'est pas la demeure de Robert de Wittelsbach de Traxel mais son atelier. L'artiste habite dans une ruelle à quelques mètres là.